Dans un contexte concurrentiel croissant, les enjeux de rentabilité, et de performance commerciale sont au cœur de toutes les stratégies d’entreprise. Si l’entreprise Michelin n’échappe pas à ce contexte, cette société mise depuis quelques années sur un atout encore sous exploité pour se démarquer : son histoire. Stéphane Nicolas, responsable du service Patrimoine Michelin, nous présentent les missions et les enjeux de son service.
1. Le service du patrimoine
L&Co : Leader mondial du pneumatique, Michelin est également une entreprise centenaire possédant une histoire unique. Pouvez-vous nous présenter les missions du service du patrimoine ?
Michelin : Notre service à 3 missions principales. Notre mission première est de conserver un fonds patrimonial unique dans les meilleures conditions possibles. Dans cette perspective et afin d’avoir une vue d’ensemble de cette collection, nous nous attachons à en réaliser son inventaire. On ne peut exploiter que ce que l’on connaît bien.
Notre seconde mission consiste à enrichir cette collection. Comme toute collection, celle-ci est loin d’être exhaustive. Nous réalisons d’une manière méthodique l’acquisition de pièces porteuses de sens. Notre attention se porte aussi bien sur des pièces anciennes, que l’on peut acquérir dans des bourses d’échanges, que sur des pièces contemporaines. En effet, notre histoire s’inscrit aussi bien dans notre passé que dans le présent, voire dans le futur. Par exemple, le Guide Michelin 2011 a une valeur aussi importante pour nous que celui de 1900. Notre fonds patrimonial est en perpétuel mouvement, dont le passé n’est pas une priorité absolue. Nous possédons bel et bien une collection vivante.
Dernière mission, l’exploitation de ce patrimoine. Je dirais même que cet aspect constitue la finalité de notre service, notamment en matière d’image et de communication pour Michelin. Le patrimoine a un rôle incontestable à jouer pour aider le groupe à légitimer son image et à construire ses messages. Les moyens et les formes pour y parvenir sont nombreux : de l’exposition permanente tenue à l’Aventure Michelin à l’exposition temporaire abordant des sujets particuliers. A travers ces expositions, notre mission est de faire le parallèle entre notre histoire et l’actualité du groupe. Pour exemple, nous venons de célébrer la victoire de l’aviateur Renaux dans le cadre du Grand Prix Michelin lancé en 1908. Il s’agissait de venir poser un avion au sommet du Puy de Dôme. L’objectif pour notre service a été de faire le lien entre les enjeux défendus par Michelin à cette époque et ceux encore portés par l’entreprise à l’heure actuelle.
L&Co : Le grand public connaît essentiellement Michelin à travers ses pneus. Cependant, Michelin est bien plus que cela. Est-il possible de nous présenter votre fonds patrimonial ?
Nous considérons tout d’abord que notre collection n’est pas seulement un fonds d’archives. Il s’agit d’un véritable fonds patrimonial, offrant une diversité de supports unique. En effet, Michelin est une entreprise centenaire se situant à la croisée de l’histoire industrielle, des pneumatiques, de la publicité, de la R&D mais aussi de la mobilité avec les cartes et guides. Cette diversité constitue d’ailleurs pour le service du patrimoine un véritable enjeu au quotidien pour l’organiser et l’exploiter.
Nous possédons deux espaces de stockage situés à proximité de l’Aventure Michelin : l’un de 1500 m² dédié aux objets et documents facilement manipulables et transportables et l’autre pour les pièces plus encombrantes comme les véhicules, les panneaux de signalisation ou encore les machines. Concernant notre espace de 1500 m², nous avons profité de notre déménagement réalisé en 2009, pour l’aménager en magasins d’environ 100 m². Chacun est dédié à un type de supports : archives, photographies, plaques de verres négatifs, objets, cartes et guides. La richesse de notre fonds patrimonial vient de son hétérogénéité : composé de pneus, de documents iconographiques, de machines rares et même de pièces étonnantes en particulier notre collection d’objets médicaux rappelant le rôle de Michelin durant la première guerre mondiale en tant qu’hôpital de campagne.
L&Co : Le patrimoine Michelin a connu en 2006 plusieurs déménagements successifs de ses fonds et de son équipe dans des espaces plus adaptés à vos ambitions. Pouvez-vous revenir sur cette période et ses conséquences ?
Michelin : Ce déménagement a conditionné à la fois la réussite de l’Aventure Michelin ainsi que la constitution de l’équipe du patrimoine en place actuellement. Jusqu’à fin 2006, notre fonds patrimonial et notre service étaient dans des locaux vétustes et inadaptés. Cet espace ne permettait pas d’envisager une conservation pérenne du fonds. Il y avait même danger de le voir disparaître. En quelques mois, nous avons su provoquer une véritable prise de conscience pour engager une action forte et déterminante pour la conservation et la valorisation de ce patrimoine. Michelin a ainsi décidé de créer un véritable centre de conservation ambitieux pour répondre à nos différents enjeux. Le déménagement a pu se réaliser à l’automne 2007 dans un ancien atelier de 1500 m² entièrement réhabilité et mis aux normes de conservation.
Pour piloter ce déménagement et amorcer notre nouvelle activité, nous avons constitué une équipe susceptible de répondre aux 3 missions de notre service. Mme Aurélia Léchelon est dédiée à l’archivage. Son profil d’historienne et son expérience en muséologie répondaient à nos besoins en matière de technique d’inventaire et de conservation. Nous souhaitions avoir une expertise très forte sur ce poste pour nous sécuriser sur les questions de conservation.
Mme Blandine Lecomte assure les missions de l’exploitation de l’Aventure Michelin qui est le lieu de notre exposition permanente. Elle est l’interface privilégiée entre Michelin et l’exploitant de cet espace de 2000m² situé à Cataroux. Mme Lecomte anime également le réseau international afin d’identifier, connaître et collecter les pièces manquantes à notre collection.
Pour avancer sur des projets spécifiques, nous faisons appel régulièrement à deux ressources extérieures : la première s’occupe de l’entretien technique des machines et des véhicules et la seconde est un archiviste dont la responsabilité est de travailler à la réalisation d’inventaires détaillés. Pour cette mission, nous fixons annuellement des grands chantiers en fonction de nos priorités et de l’actualité. Par exemple, notre collection cartes & guides fait l’objet actuellement d’un inventaire détaillé pour posséder à terme une vision d’ensemble de ce fonds. Nous considérons ce travail d’inventaire pièce à pièce comme nécessaire, nous notamment pour des questions d’accès à l’information. Cette mission représente un fort investissement pour notre service mais que nous considérons comme rentable au moment de la recherche et de la connaissance générale du fonds.
Enfin, mes responsabilités sont transversales à toutes ces missions. J’anime, je coordonne l’ensemble de notre activité.
L&Co : Vous accordez un fort intérêt à la notion d’inventaire détaillé. Est-il possible de nous dresser un bilan de cette activité ?
Michelin : Nous avons traité environ 20% du fonds avec des degrés de détail qui varient selon la valeur ou non des fonds. Pour le moment, nous n’avons pas établi de feuille de route prévoyant le traitement de notre collection de façon exhaustive. Néanmoins, nous avons une visibilité sur les cinq prochaines années des chantiers que nous souhaitons engager en priorité.
2. L’Aventure Michelin
L&Co : En parallèle du déménagement de votre fonds patrimonial, vous avez dû gérer la création de l’Aventure Michelin. Il s’agit d’un chantier unique dans une carrière professionnelle. Présentez-nous la genèse ce projet.
Michelin : Pour appréhender pleinement la dimension de ce projet et ses objectifs, il est tout d’abord nécessaire de situer le service du patrimoine au sein de l’organigramme Michelin tout en précisant le contexte de départ.
Notre service est rattaché à la Direction de la Communication et plus précisément au département Image et Marque. Notre rôle est donc de valoriser l’image et la marque de l’entreprise Michelin.
Par ailleurs, Michelin disposait depuis une trentaine d’années du Conservatoire du pneu. Situé dans une structure vétuste du centre-ville de Clermont-Ferrand, ce conservatoire abritait une partie de notre collection et retraçait les grands moments de l’histoire de Michelin. Mais ce lieu ne répondait plus à nos besoins, ni aux attentes du public.
Conscient de la valeur de son patrimoine mais aussi de la situation critique dans laquelle nous nous trouvions, Michelin décida en 2005 de lancer un projet ambitieux autour de deux axes forts : l’aménagement d’un nouveau centre entièrement repensé et l’ouverture permanente au grand public. Ce dernier point constituait d’ailleurs une petite révolution pour la marque car il obligeait Michelin à créer un lieu d’excellence !
L&Co : Comment s’est organisé ce projet ?
Michelin : Compte-tenu de notre position dans l’organigramme et de la connaissance de notre collection et de l’histoire Michelin, notre position était toute légitime pour piloter entièrement ce projet. Nous avons ainsi travaillé de concert avec différents services de Michelin (bâtiment, sécurité) mais aussi avec des prestataires sur le principe d’appels d’offres.
Le premier appel d’offre lancé concernait la réalisation de la scénographie de l’Aventure Michelin. Il fallait concevoir l’emménagement de plus de 2000m² d’espace. Une fois l’agence retenue, notre rôle a été de l’accompagner pour élaborer un espace tenant compte à la fois de la spécificité historique de Michelin et de ses fonds.
La gestion et l’accueil du public représentaient un métier nouveau pour Michelin qui n’était pas vraiment en adéquation avec son activité d’industrielle habituelle. Aussi, pour assurer ce service, un second appel d’offre a été lancé pour trouver un exploitant. Le cahier des charges prévoyait de lui confier un mandat de trois ans afin d’animer, d’assurer le fonctionnement au quotidien de l’Aventure Michelin et de maintenir en l’état le dispositif. Cet exploitant travaille désormais sous notre entier contrôle.
L&Co : L’exploitant gère donc le quotidien et le service du patrimoine anime toujours la politique éditoriale de l’Aventure Michelin ?
Michelin : En effet, nous restons les garants de cette politique car avant d’être un site touristique, l’Aventure Michelin est avant tout un site d’Image. Cet espace est un outil au service de Michelin pour faire évoluer l’image de cette entreprise dans un sens positif auprès du public. Par rapport à cet objectif, nous privilégions non pas la quantité de visiteurs, mais bien la qualité des événements proposés. Nous souhaitons que le public tire de cette visite à la fois un moment de plaisir et de détente mais surtout qu’il soit satisfait de ce qu’il a pu apprendre de Michelin.
Nous souhaitons également conserver la maîtrise de cette politique car nous ne voulions pas que l’Aventure Michelin soit uniquement tournée vers le passé. Michelin est une entreprise innovante dont la R&D est au cœur de son activité. La facilité aurait voulu de faire de ce lieu un « Musée Michelin ». Mais l’histoire de Michelin reste encore à construire. Aussi, cet espace est à la fois un lieu d’histoire, tout en étant représentatif de ce qu’est Michelin aujourd’hui et de ce que sera Michelin demain.
L&Co : Après deux ans d’existence, quel est le bilan comptable de l’Aventure Michelin ?
Michelin : L’Aventure Michelin a ouvert ses portes en janvier 2009 et nous venons de fêter à l’automne dernier notre 100000ème visiteur. Actuellement, nous comptabilisons 130000 visiteurs. Le bilan est donc plus que positif et même au-delà de nos prévisions.
L&Co : Votre service a déménagé ainsi que votre collection. Parallèlement à cela, l’Aventure Michelin a ouvert ses portes. Michelin a donc réalisé d’importants investissements. Quelle est la vision du groupe pour son patrimoine ?
Michelin : Michelin a véritablement une vision à long terme de la conservation et de l’exploitation de son patrimoine qui représente un véritable capital pour le groupe. Cette vision est née d’une prise de conscience à l’occasion de la célébration de nombreux anniversaires (100 ans de Michelin, de Bibendum, de courses comme Paris-Bordeaux). La multiplication de ces événements a mis à jour l’extraordinaire potentiel que représentait cette notion d’histoire, à la fois pour communiquer mais aussi, par exemple, pour se démarquer en terme de positionnement concurrentiel.
Michelin est désormais convaincu qu’un outil comme l’Aventure Michelin donne une visibilité unique à la marque et participe à valoriser son image. Par ailleurs, cet espace concourt à la conservation et à la diffusion d’une culture d’entreprise. Ainsi, ce lieu permet à l’intégration des nouvelles ressources Michelin et devient un lieu incontournable pour assurer différentes formations auprès du personnel. Cette visibilité permanente de notre fonds patrimonial, nous oblige dès lors à nous fixer des objectifs très élevés pour asseoir notre rôle et notre légitimité. Il s’agit de faire vivre de façon pérenne l’Aventure Michelin et de s’inscrire plus globalement dans le projet d’avenir du groupe. Notre remise en question est donc quotidienne.
L&Co : L’Aventure Michelin a-t-il participé à donner une nouvelle image du service du patrimoine et vos rapports professionnels sont-ils désormais différents ?
Michelin : Effectivement, en offrant une visibilité différente de notre patrimoine, nous avons noté des changements dans nos relations au quotidien avec d’autres services. Tout d’abord, les employés Michelin ont pu se rendre compte de la richesse de leur histoire et donc de l’importance de notre et de leur travail. D’autre part, la qualité du travail réalisé notamment en matière de scénographie a permis de modifier les regards sur notre activité. Notre image en est ressortie plus dynamique et moderne. L’Aventure Michelin a véritablement modifié certaines idées et images préconçues au point de faire de ce lieu un espace de référence pour les employés ainsi que pour ses dirigeants. Nous avons franchi un palier concernant notre visibilité et notre rôle, à nous de poursuivre ce mouvement.
L&Co : Pouvez-vous nous présenter les futurs projets de l’Aventure Michelin ?
Michelin : Début 2012, nous allons revoir la fin du dispositif et développer la thématique sur la compétition et l’innovation. Parallèlement à cela, nous restons à l’écoute de nos visiteurs et de l’expérience accumulée. Aussi, nous allons répondre prochainement à certaines de leurs attentes. Par exemple, nous allons développer des services associés en accueillant des assemblées générales ou encore des réunions. Notre espace n’est pas figé bien au contraire, nous le considérons comme étant en perpétuelle mutation, un peu comme à l’image de l’entreprise Michelin.
3. Les projets du service du patrimoine
L&Co : Votre service ne gère pas que l’Aventure Michelin, il y a aussi la réalisation au quotidien de vos missions courantes. Avez-vous des projets en particulier ?
Michelin : Nous travaillons actuellement à la refonte de notre outil documentaire afin de tirer tous les bénéfices de notre travail d’inventaire détaillé.
Pour le moment, nous réalisions notre travail d’indexation au sein d’une base de données unique regroupant le service de la photothèque et celui de cartes & guides. Notre travail d’indexation prenant de plus en plus importance, nous avons fait le constat que cette cohabitation entre plusieurs fonds touchait ses limites. Nos besoins ne sont pas les mêmes que pour les autres services. De façon générale, l’ensemble du process documentaire était assez chronophage et même source d’erreur.
Nous réalisons actuellement une scission des bases afin d’avoir un fonds propre tout en restant sous le chapeau global du logiciel documentaire actuel. A terme, le patrimoine disposera de sa propre base, dimensionnée à nos besoins.
L&Co : Pensez-vous ouvrir cette base documentaire au grand public ?
Michelin : Cette base est destinée avant tout au service du patrimoine. Notre mission est avant-tout de maîtriser l’information qui circule pour s’assurer du message délivré. Il est important à notre sens que tout document puisse bénéficier de notre expertise.
Néanmoins, la photothèque Michelin, disponible pour l’ensemble des communicants du groupe, continuera d’accueillir une sélection de documents du patrimoine.