Depuis 2009, la marque au losange a lancé un important programme de valorisation de son patrimoine historique et culturel. Conscient de l’importance et de la valeur de ce patrimoine, aussi bien pour son essence que pour l’histoire industrielle et sociale de la France, Renault compte bien faire de son passé un atout non négligeable en terme d’images et financiers.
Hélène Galzin, responsable du programme valorisation du patrimoine historique et culturel de Renault nous présente les enjeux et les finalités de ce projet unique en France.
1. Le programme de valorisation du patrimoine
L&Co : Comment est né le programme valorisation du patrimoine historique et culturel de Renault ?
Hélène Galzin : Ce programme est né en 2009 d’un constat simple, à savoir que Renault possède un patrimoine d’entreprise unique un des plus riches au monde ! A l’aide d’historiens spécialisés en Histoire d’Entreprise, nous pouvons même l’évaluer comme étant l’un des 20 plus importants au monde. Ce classement a pu être établi selon différents critères : la date de création de l’entreprise (1898), l’implantation de Renault dès 1900 à l’international ou encore grâce à sa diversité de métiers (fabrication de moteurs, d’avions, de trains et même d’autocars). De ce constat flatteur, Renault a non seulement voulu « préserver » son patrimoine en élaborant ce programme mais a aussi souhaité le valoriser au moyen d’outils et le diffuser au plus grand nombre, car ne l’oublions pas, le patrimoine de Renault appartient également aux Français.
L&Co : Renault est effectivement une entreprise emblématique de l’industrie française, aussi est-ce que l’Etat a encouragé l’émergence de cette démarche ?
Hélène Galzin : Renault est l’unique initiateur de ce projet. Cependant, si l’Etat français n’a pas joué de rôle spécifique dans cette création,Par contre, très vite, par rapport justement au lien spécifique qui nous lie à la France, il nous a semblé indispensable d’aller à la rencontre d’ institutions patrimoniales françaises telles que l’INA, la BNF et le Centre National des Archives de France de manière à opérer des croisements et des échanges, notamment au plan des archives. Car l’’histoire de Renault n’est pas qu’une histoire technique et industrielle, c’est aussi une histoire qui touche le quotidien des Français depuis plus de cent ans par les loisirs, l’évolution de la société, la publicité , le cinéma ou encore l’art…
L&Co : Comment s’est organisé le début du programme ?
Hélène Galzin : A l’image de la diversité du patrimoine de Renault, nous avons souhaité réunir une diversité de talents répartis de façon transversale dans 5 groupes de travails. Parmi eux, nous trouvons des designers, des ingénieurs ou encore des spécialistes du marketing et de la communication. Il s’agissait, au début du programme, d’explorer les différentes possibilités qui s’offraient à Renault pour garantir le succès de ce projet. Ces groupes ont ainsi travaillé sur les thèmes suivants :
- 1. La conservation des biens
- 2. Les opportunités financières liés à ce patrimoine
- 3. Les lieux de mémoire et patrimoniaux de demain
- 4. La vie associative et le lobbying auprès des institutions patrimoniales
- 5. La création d’outils corporate (film, toolbox kits de communication accessibles sur Internet)
Au terme de plusieurs mois de travail, ces groupes ont présenté une quinzaine de projets à des dirigeants de Renault qui ont priorisé quelques grands chantiers tels que :
- Rendre accessible la collection de 700 voitures du groupe au moyen d’un pr« conservatoire historique ».
- Conserver la « mémoire orale » de Renault et de ses employés à travers un programme d’enregistrement vidéo.
- Réfléchir à un lieu de mémoire à Boulogne dédié à l’histoire industrielle et sociale de Renault ainsi qu’à son rôle social. Ce projet se concrétisera dans un premier temps courant 2012, avec l’inauguration d’un pavillon éphémère sur l’île Séguin. il s’agira de proposer une fresque chronologique retraçant l’histoire de Renault à Boulogne, tout en rappelant son influence sur la société française depuis des décennies. Pour cela, un véhicule ayant marqué son époque sera régulièrement exposé en vitrine. Par exemple, la 4 CV marquant la première petite voiture « populaire » symbolisant l’accès aux loisirs ou encore la Renault 5 qui est intimement liée à l’émancipation de la femme car ayant permis à de nombreux foyers de s’équiper d’une « seconde » voiture.
2. Les chantiers
L&Co : Vous évoquez l’île Séguin qui est intiment liée à Renault. Pouvez-vous nous dire si vous envisagez d’autres actions sur cet espace ?
Hélène Galzin : Effectivement, l’île fait partie intégrante de l’histoire de Renault tout comme la ville de Boulogne-Billancourt qui abrite notamment le lieu fondateur de l’entreprise. D’ailleurs, ce pavillon d’information est un projet sous l’égide de la Ville de Boulogne commun entre diverses associations dédiées à la mémoire. Mais pour le moment, nous n’avons pas encore programmé d’investir l’île de façon pérenne.
L&Co : L’un de vos grands chantiers est la création de la mémoire orale, pourquoi ?
Hélène Galzin : La mémoire de Renault n’est pas toujours inscrite dans les livres et nos archives… C’est pourquoi, il devenait urgent d’interviewer des anciens salariés de Renault ayant marqué l’ « histoire » de Renault au 20 ème siècle. Comme nous l’évoquions au préalable, l’histoire de Renault est représentative de l’histoire sociale de l’industrie française. De nombreux mouvements sociaux sont nés dans les usines de Billancourt notamment lors des mouvements de 1936. Il nous paraît donc évident de collecter cette mémoire unique. Pour ce faire, nous avons établi un programme d’interviews pour interroger ces salariés, en fonction de leurs rôles et de leurs métiers occupés chez Renault. Nous souhaitons collecter les mémoires de toutes les sensibilités, aussi bien celle d’un ancien syndicaliste, d’une femme ouvrière que celle d’un cadre ou encore d’un ex PDG. La mémoire Renault se raconte de façon plurielle.
Ce chantier programme, qui ne fait que démarrer, sera dans un premier temps accessible aux historiens, puis aux salariés via une médiathèque et au public sur demande. Pour le moment, les questions de droits d’auteurs nous obligent à attendre un peu avant la mise en ligne de cette mémoire sur Internet.
L&Co : Quelle est la dimension géographique du programme que vous animez ?
Hélène Galzin : C’est un chantier à dimension internationale ! Car l’histoire de Renault se raconte aussi partout où la marque a su s’implanter dans le monde, comme en Espagne et en Argentine par exemple.
Bien entendu, nous priorisons les actions à mener selon les pays et nous veillerons en priorité aux questions de conservation des biens historiques de Renault. Nous souhaitons sauvegarder et conserver nos biens corporate qui ont souffert d’un certain désintérêt durant de nombreuses années… Pour cela, nous sommes engagés dans un immense chantier de définition et déploiement d’une politique, de réalisation d’inventaire des biens et de numérisation. Il est important, dans ce cadre, de pouvoir identifier les « détenteurs » d’ archives dans le monde de manière à construire un réseau et une communauté
3. Le programme et Renault
L&Co : Pouvez vous nous préciser comment s’inscrit votre mission au sein de Renault ?
Hélène Galzin : Notre mission première est de mettre en place un schéma directeur et une politique structurante pour l’ensemble des opérationnels au service de l’histoire dans l’entreprise comme le service médiathèque ou les responsables de nos collections d’automobile ou d’arts. Nous animons ainsi un comité transversal qui réunit l’ensemble de ces acteurs afin de coordonner les projets et d’insuffler une dynamique au plan corporate la tendance.
Pour être plus précise, je citerai quelques entités en lien avec l’histoire:
- Renault Classic Classique, rattaché à la direction communication, modèle et marque, qui est notamment en charge de valoriser la collection de voitures retraçant 113 ans d’histoire produit et d’exploiter le fonds d’archives corporate produits de la marque d’hier et d’aujourd’hui.
- La Médiathèque Renault, rattachée à la direction de la communication, qui gère le fonds patrimonial photos et vidéos en plus des productions courantes.
- A l’extérieur de l’entreprise, la Société d’Histoire du Groupe Renault, association Loi 1901, qui détient son propre fonds d’archives et mène des études scientifiques ( revue de l’histoire) et travail autour de la mémoire de Renault avec des anciens salariés notamment.
- Enfin, Renault possède une collection d’art unique composée de tableaux, de sculptures dont l’origine remonte à Pierre Dreyfus. Ann Hindry, conservatrice, assure la gestion et l’exploitation de cette collection.
L&Co : La stratégie publicitaire de Renault rappelle régulièrement aux Français que la marque au losange est intimement liée à leur quotidien depuis de nombreuses années. Jouez-vous un rôle dans la création de ces publicités ?
Hélène Galzin :Nous ne sommes pas associés à ces choix car cela n’est pas dans notre périmètre. Nous avons la chance que Stephen Norman, directeur marketing monde du groupe Renault, considère l’histoire du groupe comme un élément important dans la stratégie de communication. L’histoire de Renault est un formidable vecteur d’image pour le groupe. Grâce à elle, il est possible de mettre en perspective l’essence et l’ADN du groupe Renault et d’exprimer vers quoi nous voulons tendre pour le futur…
L&Co : Au-delà de Renault, quel est votre regard sur les pratiques de valorisation patrimoniale des groupes industriels français ?
Hélène Galzin : Si la France est reconnue mondialement pour son patrimoine « culturel », il n’en est pas de même concernant son patrimoine « industriel »… Nous avons pris du retard dans ce domaine par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne et l’Angleterre par exemple. Aussi, je souhaiterais, à moyen terme, que Renault puisse devenir un exemple en matière de valorisation du patrimoine industriel en France. A travers celui-ci, n’ayons pas peur d’affirmer notre francité et notre spécificité qui représentent autant d’atouts pour assurer notre promotion à l’étranger.